Prédication d’Étienne Lhermenault, prêchée à Massy le 10 février 2013
Il s’est humilié (Philippiens 2.1-11)
« Tel père, tel fils » dit l’adage populaire pour désigner la ressemblance entre parents et enfants. Ressemblance physique bien sûr, mais aussi morale et comportementale. Car la génétique n’est pas seule en cause, l’éducation l’est tout autant. Ce qui me fait dire qu’une telle maxime peut aussi s’appliquer à la famille spirituelle et s’énoncer ainsi : « Tel maître, tel disciple ». Ne sommes-nous pas appelés par le Nouveau Testament à ressembler à Jésus, notre Sauveur, et à suivre les traces du Christ, notre Seigneur ? La perspective nous enthousiasme quand il est question de joie et de consolation, de succès et de bénédictions, de prodiges et de signes ; un peu moins quand il s’agit de service et de peine, de renoncement et de sanctification ; et plus du tout quand il s’agit de souffrance et d’humiliation ! Et pourtant Celui qui nous a sauvés n’a jamais caché que le suivre, c’était prendre sa croix et renoncer à soi-même, souffrir à cause de son nom et partager quelque chose de son humiliation. Mieux même, il a ouvert la voie, il s’est abaissé jusqu’à subir la mort pour nous donner la vie. Pouvons-nous décemment le suivre et tenir pour rien l’humilité qui a caractérisé le ministère de notre Seigneur ? Pouvons-nous sérieusement être ses disciples et ne pas tenir compte du fait que son humiliation a été la condition de notre salut ?
En ce jour où nous allons débattre des modalités d’élection des membres du conseil, donc d’accès au service, il m’a semblé utile de nous remettre en mémoire l’humble service de Jésus appelé à inspirer le nôtre ici-bas.
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Une soumission véritable
Jésus s’est tout d’abord humilié en consentant à se soumettre aux obligations et aux contraintes des hommes de son temps.
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Il s’est placé sous la loi :
Lui, le Fils de Dieu, auteur de la loi et juge des hommes, a accepté en homme d’obéir aux exigences de la loi : il a été amené au Temple par ses parents le huitième jour pour se faire circoncire (Lc 2.21) ; il s’est fait baptiser au Jourdain par son cousin Jean-Baptiste – non pas qu’il ait eu besoin de se repentir, mais parce qu’il voulait ainsi s’identifier aux pécheurs que nous sommes ; et il a continué à respecter la loi avec attention bien qu’il en ait contesté vivement l’interprétation officielle de son époque. Ainsi de l’impôt du Temple que tout Israélite devait verser selon la loi (Mt 17.25-27) :
– Qu’en penses-tu, Simon? Qui est-ce qui paie les taxes et les impôts aux rois de la terre? Les fils ou les étrangers?
– Les étrangers, répondit Pierre.
– Donc, reprit Jésus, les fils n’ont rien à payer. Toutefois, ne jetons pas ces gens dans le trouble. Descends donc jusqu’au lac, lance ta ligne à l’eau, attrape le premier poisson qui mordra, et ouvre-lui la bouche: tu y trouveras une pièce d’argent. Prends-la et donne-la aux agents en paiement de l’impôt pour nous deux.
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Il s’est soumis aux autorités :
Enfant, nous savons qu’il obéissait à ses parents (Lc 2.51). Puis au cours de son ministère, il a respecté l’ordre de la synagogue, envoyé les lépreux qu’il avait guéris auprès des sacrificateurs et, selon toute vraisemblance, il a même payé l’impôt à César (« Rendez donc à César ce qui revient à César, et à Dieu ce qui revient à Dieu. », cf. Mt 22.16-21).
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Il a accepté la discipline :
Je veux parler ici de la discipline spirituelle que requiert le service de Dieu. Le réformateur Luther la définissait ainsi : Prière, méditation, tentation. Et nous retrouvons bien ces trois éléments dans l’expérience de notre maître :
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Prière : nous voyons Jésus dans les évangiles réserver de longs moments à la prière, s’arracher littéralement à une tâche absorbante, à des demandes incessantes pour préserver son intimité avec le Père.
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Méditation : son recours à l’Écriture lorsqu’il enseigne ou qu’il répond aux questions de ses opposants montre qu’il l’a méditée, qu’il la connaît parfaitement et qu’il lui reconnaît une pleine autorité.
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Tentation : enfin, il ne s’est pas soustrait, lui le Fils de Dieu, aux assauts pénibles de la tentation de telle sorte que l’auteur de l’épître aux Hébreux pourra affirmer (Hé 4.15) :
nous n’avons pas un grand-prêtre qui serait incapable de se sentir touché par nos faiblesses. Au contraire, il a été tenté en tous points comme nous le sommes, mais sans commettre de péché.
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Son exemple rappelle à ceux qui se réclament de lui qu’ils ne peuvent faire de leur foi une occasion de s’élever au-dessus des lois, de contester les autorités familiales, civiles ou spirituelles, de laisser libre cours à leur insoumission naturelle qui est, faut-il le rappeler, une marque du péché. Est-ce une concession à l’air du temps ou un trait propre à notre milieu volontiers frondeur, mais les évangéliques dont nous sommes font généralement preuve d’une trop grande indulgence à l’égard des diviseurs qui sont souvent des insoumis ? En tout cas, j’ai une certitude, c’est que la marque de la vie à la suite de Christ, de la vie dans le Corps du Christ, est celle d’une humble soumission.
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Un service aimant
Jésus s’est fait homme et en tant qu’homme, il s’est humblement soumis aux obligations et aux contraintes de sa condition. Mais il n’a pas fait que cela, il s’est aussi fait serviteur. Ainsi, il dira aux disciples qui se disputent les places d’honneur (Mc 10.43-45) :
… si quelqu’un veut être grand parmi vous, qu’il soit votre serviteur,
et si quelqu’un veut être le premier parmi vous, qu’il soit l’esclave de tous
Car le Fils de l’homme n’est pas venu pour se faire servir, mais pour servir lui-même et donner sa vie en rançon pour beaucoup.
Nous savons par les évangiles combien cette affirmation s’est vérifiée. Jésus n’a eu de cesse tout au long de son ministère terrestre de servir les hommes et les femmes de son temps :
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Il a accueilli de façon bienveillante ceux qui étaient habituellement tenus à l’écart de la vie spirituelle : les enfants, les femmes, les pécheurs notoires…
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Il a opéré de nombreux miracles, non pour recueillir un succès qu’il cherchera souvent à fuir et qui parfois l’attristera, mais pour soulager la souffrance physique et morale de personnes tenues enchaînées par le diable.
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Et il a inlassablement enseigné les foules et ses proches quand bien même il en était souvent incompris.
Il a vraiment été l’humble serviteur au milieu des siens comme il l’a déclaré à ses disciples : « Je suis au milieu de vous comme celui qui sert » (Lc 22.27).
Ce qui me frappe dans son service, c’est moins sa générosité et sa puissance que son amour et sa liberté. Avons-nous bien mesuré ce qui, dans son service, diffère radicalement du nôtre ?
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Jésus ne sert pas les hommes et les femmes parce qu’il y est contraint par un père tyrannique. Il n’est animé ni par la peur qui souvent nous tenaille ni par la culpabilité qui n’est, chez nous, jamais loin. Au contraire, il s’est dépouillé lui-même, de son plein gré, pour prendre la condition du serviteur, nous dit Paul.
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Il ne sert pas non plus pour être aimé des hommes comme s’il cherchait à combler un vide affectif, ce qui nous arrive bien souvent. Au contraire, pleinement aimé de son Père, il est capable d’aller jusqu’à subir la mort, la mort sur la croix par amour.
En d’autres termes, Jésus ne cherche dans le service aucun des bénéfices secondaires ou cachés qui motivent souvent le nôtre. Il n’a pour seule motivation que d’obéir à son Père et pour seul objectif de vouloir le meilleur de celui ou de celle qu’il sert.
Cette soumission parfaite au Père, gage d’amour et de liberté, explique la puissance de son ministère. Il peut tout à loisir déjouer les pièges de ses adversaires, accueillir les petits enfants pour les bénir, accepter d’entrer dans la maison de Zachée le collecteur d’impôts, multiplier les pains et les poissons pour la foule affamée ou montrer au jeune homme riche les idoles qu’il doit abandonner pour le suivre. En tout cela, il n’est l’esclave ni de ses interlocuteurs ni de ses propres manques ou passions, mais il se fait le serviteur de tous et donne à chacun ce dont il a vraiment besoin pour vivre !
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Marcher à la suite d’un tel maître, c’est donc s’engager sur la voie résolue du service, mais pas n’importe lequel. Car comme le dit l’adage de l’Asev (Action sociale évangélique), « Servir ce n’est pas toujours aimer, mais aimer c’est toujours servir ». Ainsi la sanctification à laquelle nous sommes tous appelés consiste entre autres à conquérir, par l’Esprit, la liberté qui nous permettra de servir sans arrière-pensées et donc d’aimer vraiment. Et, à ce titre, il est préoccupant de voir trop de chrétiens, parfois de longue date, remplir les bancs de nos Églises en simples spectateurs. Se pourrait-il qu’il y ait parmi nous, sans que nous osions nous l’avouer, un christianisme à deux vitesses ? celui d’une grande majorité qui se satisfait de faire acte de présence le dimanche et celui d’une minorité qui s’engage à témoigner et à servir le dimanche, le lundi et tous les autres jours de la semaine ? Entendez-moi bien, il ne s’agit ni de faire de nous des forcenés de l’activisme, ni d’inoculer à nos communautés la réunionnite, mais de conduire chacun à réaliser qu’on ne peut être disciple du Christ sans aimer Dieu et son prochain, c’est-à-dire sans servir Dieu, son peuple et tous ceux que Christ met sur notre route… à commencer par notre conjoint et nos enfants.
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Une souffrance quotidienne
A la soumission et au service, il convient d’ajouter la souffrance. Le ministère de Jésus représenta sans nul doute un renoncement quotidien. Le Fils de Dieu, comme vous le savez, n’est pas venu en nanti parmi les hommes. Il n’avait ni confort permanent, ni cour toute dévouée pour le servir. A un scribe qui manifestait le désir de le suivre, il répondit ceci : « Les renards ont des tanières et les oiseaux du ciel des nids; mais le Fils de l’homme n’a pas d’endroit où reposer sa tête. » (Mt 8.20). Mesurons-nous l’inconfort quotidien du Seigneur, nous qui avons des logements dotés de toutes les commodités actuelles ?
En outre, Jésus a eu à affronter bien des déceptions affectives et des blessures psychologiques. Sur sa route, il trouvera des adversaires jaloux et acharnés qui cherchent à le piéger pour l’accuser et poussent la foule à le tuer. Il aura une famille incrédule qui le tiendra à distance (« les membres de sa famille … disaient : « Il est devenu fou », Mc 3.21 ; « les frères de Jésus eux-mêmes ne croyaient pas en lui. », Jn 7.5). Il devra supporter des amis qui comprennent difficilement le sens de son œuvre et qui se disputent même les places d’honneur à quelques jours de sa mort.
Oui, il n’y a pas de doute, Jésus s’est bien humilié en venant parmi les hommes comme l’annonçait déjà le prophète Ésaïe 8 siècles auparavant (Es 53.3) :
Méprisé et abandonné des hommes,
Homme de douleur
Et habitué à la souffrance,
Semblable à celui devant qui l’on se voile la face,
Il était méprisé…
Pourtant, si Jésus s’est humilié en acceptant la souffrance d’un ministère consacré à la vérité, il n’a pas cherché à se flageller et n’a pas accumulé en collectionneur morbide les douleurs de la vie. Il est issu d’une famille stable, il jouit d’une parfaite santé physique et psychologique, il ne refuse ni l’assistance matérielle d’un groupe de femmes riches, ni les invitations à de bons repas. Pour le dire autrement, à ce stade de son ministère, la souffrance n’a pas atteint son paroxysme parce qu’il ne s’agit pas encore de la croix qui sauve et donc de la souffrance rédemptrice.
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Les disciples d’un tel maître n’ont donc pas à se complaire dans une souffrance volontaire qui ne serait rien d’autre qu’une forme de salut par les œuvres. En effet, aucune souffrance, aussi grande et charitable soit-elle, ne peut compléter, ne serait-ce que de manière infime, les souffrances rédemptrices du Christ à la croix. Laquelle croix a été dressée une fois pour toutes pour pourvoir à notre salut. Ceci ne signifie pas pour autant que le croyant échappe à toute souffrance. Jésus n’a pas manqué d’avertir ses disciples à ce propos (Jn 15.20) :
Le serviteur n’est pas plus grand que son maître. S’ils m’ont persécuté, ils vous persécuteront aussi ; s’ils ont gardé ma parole, ils garderont aussi la vôtre.
Ainsi s’engager à la suite du Christ dans un service motivé par l’amour, c’est s’exposer à la souffrance de celui qui renonce à lui-même pour prendre sa croix et accepte d’endurer l’opposition des incroyants. Ne serait-il pas temps, frères et sœurs, que nous quittions les rives plaisantes mais traîtres d’un Évangile de l’épanouissement personnel où tout se mesure à l’aune de ce qui me fait du bien pour aborder les rives escarpées mais sûres d’un Évangile du service de Dieu et du prochain dans le renoncement qu’implique l’amour véritable ?
A sa manière, l’apôtre Paul répond par l’affirmative en liant de façon étroite le terre-à-terre de la vie des disciples au sublime de la vie et de l’œuvre de leur maître :
Tendez à vivre en accord les uns avec les autres. Et pour cela ayez un même amour, une même pensée, et tendez au même but … par humilité, considérez les autres comme plus importants que vous-mêmes … car c’est ce qui convient quand on est uni à Jésus-Christ.
Lui qui, dès l’origine, était de condition divine, ne chercha pas à profiter de l’égalité avec Dieu …
Pouvons-nous trouver indication plus claire que le disciple doit suivre le chemin du maître et faire de l’humilité un principe de la vie et de la marche par l’Esprit ?
Et cette humilité devrait être à la base des relations dans notre communauté : tendre à vivre en accord les uns avec les autres. Non pas pour le plaisir d’être bien ensemble, mais pour plaire à notre Père et porter bien haut le flambeau de l’Évangile dans une société en perte complète de repères. Ne gâchons pas les occasions qui nous sont données de proclamer la bonne nouvelle à une génération qui se perd par son incapacité à faire preuve d’amour et d’humilité. Et mesurons, au-delà même des besoins de nos contemporains, l’urgence de la tâche : il n’est pas dit que nous aurons demain la même liberté pour ce faire. Déjà, ici et là en Occident, la prédication de l’Évangile attire les foudres médiatiques sur les pasteurs qui osent appeler au changement par exemple ceux qui pratiquent l’homosexualité. Il vient le temps où « les hommes ne voudront plus rien savoir de l’enseignement authentique » (2 Tm 4.3). Mais ne nous décourageons pas, Celui que nous servons a vaincu le monde et il est toujours capable de convaincre les hommes de péché, de justice et de jugement, c’est-à-dire de les arracher aux griffes du Malin.
Jean 2.23b-25 : … beaucoup de gens crurent en lui en voyant les signes miraculeux qu’il accomplissait. Mais Jésus ne se fiait pas à eux, car il les connaissait tous très bien. En effet, il n’avait pas besoin qu’on le renseigne sur les hommes car il connaissait le fond de leur cœur.
Cf. The Giglio Imbroglio — The Public Inauguration of a New Moral McCarthyism, http://www.albertmohler.com/2013/01/10/the-giglio-imbroglio-the-public-inauguration-of-a-new-moral-mccarthyism/, publié le 10 janvier 2013.