Prédication donnée par David Boydell à Massy, dimanche 11 mai 2014
Quand nous regardons le monde autour de nous, nous nous sentons souvent complètement impuissants. Au journal télévisé ou même dans le RER, nous voyons des situations qui nous dépassent. Malgré tout ce qui est fait en France pour les nécessiteux, nous constatons quand même la détresse de personnes qui ont du mal à gagner le nécessaire pour vivre. Et quand nous regardons plus loin, nous voyons le besoin terrible d’eau ou de nourriture de beaucoup de populations de la terre, d’autres peuples qui vivent dans la terreur d’un régime totalitaire, ou bien les drames qui se passent sous nos yeux en Syrie, au Nigéria, en Centrafrique ou en Ukraine (et j’en passe). Oui, nous nous sentons bien impuissants face à des besoins si évidents. Et chaque jour les média nous accablent d’ images troublantes et contribuent à notre malaise devant l’état du monde.
La Bible nous raconte l’histoire de personnes qui ont eu cette même expérience de souffrance devant l’état du monde. On peut penser par exemple à Abraham qui souffrait de l’état alarmant des villes de Sodome et de Gomorrhe, ou de Jérémie qui se lamentait sur la déchéance morale de son peuple. C’était aussi le cas de Néhémie, comme le début de son livre l’indique. Arnaud a fait l’introduction au livre de Néhémie la semaine dernière. Nous allons lire le premier chapitre ce matin, en commençant par relire les premiers versets qui étaient le sujet de la prédication de dimanche dernier :
Néhémie 1. 1-3 : Paroles de Néhémie, fils de Hakalia. Au mois de Kislev, la vingtième année, comme j’étais à Suse, la capitale, Hanani, l’un de mes frères, et quelques hommes arrivèrent de Juda. Je les questionnai au sujet des Juifs rescapés qui étaient restés de la captivité, et au sujet de Jérusalem. Ils me répondirent : Ceux qui sont restés de la captivité sont là dans la province, au comble du malheur et du déshonneur ; la muraille de Jérusalem a des brèches, et ses portes sont brûlées par le feu.
Arnaud nous a rappelé que Néhémie vivait quelques 150 ans après l’exil à Babylone. 50 000 Juifs ont pu retourner à Jérusalem et reconstruire le Temple quelque 90 ans avant le temps de Néhémie, mais que d’autres Juifs, comme Néhémie, restaient en Perse, pays de leur naissance.
Comme le cas de Néhémie le démontre, certains avaient des positions très élevées dans la société, et Néhémie était même un des échansons du roi (v 11), et il prenait son tour pour lui servir à boire. Ce n’était qu’une des tâches de cet homme de confiance qui vivait dans le cercle très restreint de ceux qui côtoyaient le monarque le plus puissant de son temps qui avait le pouvoir de vie et de mort sur ses sujets.
Nous sommes en décembre de l’an 446 avant J.-C., la vingtième année du règne de l’empereur perse Artaxerxès 1er. L’Empire perse s’étend de l’Inde à l’est à l’Égypte à l’ouest, et atteint même la Grèce. Suse, capitale de la province d’Élam[1], est une des quatre capitales de cet immense empire, le plus grand empire que le monde avait connu à cette date. Elle se trouve dans la plaine à l’est du Tigre, et elle est la capitale d’hiver grâce à son climat doux.
Néhémie, donc, est un Juif de la diaspora. Sa famille habite depuis un siècle et demi en Perse. Il n’a sans doute jamais visité le pays de ses ancêtres. Imaginez que vos ancêtres seraient venus en France au milieu du 19e siècle : qu’est-ce que vous sauriez de votre pays d’origine ?
De plus, Jérusalem n’était pas la porte à côté ! Esdras nous dit qu’il a pu faire le voyage de Babylone à Jérusalem en « seulement » quatre mois, grâce à l’aide de Dieu (Esd 7.9), et Suse est plus éloigné encore ! Nous parlons donc d’un voyage aller simple de 5 à 6 mois[2]. Mais quand une délégation arrive, Néhémie prend les nouvelles de cette ville qu’il n’avait jamais vue, mais qui était la ville de ses ancêtres. Et les nouvelles de Jérusalem vont influencer le reste de sa vie. Malgré la reconstruction du Temple 70 ans auparavant[3], la ville reste toujours sans défense et la vie de ses habitants est difficile.
Avant de lire le reste de ce chapitre, réfléchissons de nouveau un instant à notre propre situation.
Comment vivre dans ce monde où d’autres font face chaque jour à la précarité, à la guerre et à l’injustice, et où même ceux qui sont protégés de ces maux vivent dans l’ignorance de la grâce de Dieu ? Il est toujours facile de tomber dans l’excès : soit de dire que nous ne pouvons rien faire contre tous ces maux et de nous y résigner, soit de nous laisser obséder par l’état du monde et de déprimer face à notre impuissance. Mais Néhémie, comme d’autres comme lui dans tous les âges, a trouvé une troisième voie :
Lisons les vs 4 – 11 : Lorsque j’entendis ces paroles, je m’assis, je pleurai et, pendant plusieurs jours je pris le deuil. Je jeûnai, je priai devant le Dieu des cieux, et je dis :
Ah ! Éternel, Dieu des cieux, Dieu grand et redoutable, toi qui gardes l’alliance et la bienveillance envers ceux qui t’aiment et qui gardent tes commandements !
6 Que ton oreille soit attentive, et que tes yeux soient ouverts pour exaucer la prière de ton serviteur. Je suis en prière devant toi en ce moment, jour et nuit, pour tes serviteurs les Israélites, en confessant les péchés des Israélites, nos péchés contre toi ; moi et ma famille, nous avons péché.
7 Nous avons vraiment mal agi envers toi et nous n’avons pas observé les commandements, les prescriptions et les ordonnances que tu as donnés à Moïse, ton serviteur.
8 Souviens-toi de cette parole que tu prescrivis à Moïse, ton serviteur : Lorsque vous serez infidèles, je vous disséminerai parmi les peuples ; mais si vous revenez à moi et si vous gardez mes commandements et les mettez en pratique, alors, quand même vous seriez bannis à l’extrémité du ciel, de là je vous rassemblerai et je vous ramènerai vers le lieu que j’ai choisi pour y faire résider mon nom. Ils sont tes serviteurs et ton peuple, que tu as libérés par ta grande puissance et par ta main forte.
11 Ah ! Seigneur, que ton oreille soit donc attentive à la prière de ton serviteur et à la prière de tes serviteurs qui veulent craindre ton nom ! Donne aujourd’hui du succès à ton serviteur et fais-lui obtenir la faveur de cet homme. J’étais alors échanson du roi.
Néhémie était profondément ému par l’état de Jérusalem, comme nous le sommes si souvent en regardant l’état de ce monde. Il était tellement ému qu’il s’assit pour pleurer sur le sort de Jérusalem ! Il met ses vêtements de deuil, comme s’il avait perdu un parent proche. Il est vivement affecté par ces nouvelles. Mais loin de se résigner à cet état des choses, ou de dire qu’il ne pouvait rien changer, que sa situation ne le permettait pas, ses larmes l’ont poussé à la prière, et c’est cette prière qui peut être un modèle pour nos propres prières.
Nous remarquons 5 choses dans cette prière :
1 : Elle n’était pas courte !
Néhémie est surtout connu pour ses « SOS dans la prière » à Dieu, des prières qui ont été envoyées à Dieu comme des flèches au milieu de l’action[4]. Mais ces prières n’étaient pas les seules que Néhémie pratiquait, et il pouvait prier ainsi parce qu’il avait auparavant passé beaucoup de temps dans la prière. Cette prière a duré plusieurs jours (4) et il a prié jour et nuit (6). Le psalmiste parle souvent de telles prières lors des crises de sa vie :
« Mon Dieu ! Je crie le jour, et tu ne réponds pas ;
La nuit, et je ne garde pas le silence ! » (Ps 22.3)
« Je m’épuise à force de gémir ;
Chaque nuit je baigne ma couche de mes pleurs ;
J’arrose mon lit de mes larmes. » (Ps. 6.7)
Mais il parle aussi d’une prière constante, même en l’absence d’une crise :
« Tu es constamment l’objet de ma louange » (Ps. 71.6, NBS)
« Je médite sur toi pendant les veilles de la nuit » (Ps 63.7).
Or, nous savons bien que l’efficacité de la prière n’est pas liée à sa longueur, et Jésus nous met en garde contre la pensée que Dieu nous écoutera simplement à cause de nos longues prières (Mt 6.7). Mais Jésus lui-même passait de longues heures dans la prière, seul à seul avec son Père, et il lui arrivait souvent de passer toute la nuit dans la prière.
L’apôtre Paul aussi, grand homme d’action comme Néhémie, passait des heures entières dans la prière, et il nous exhorte aussi à nous adonner constamment à la prière :
« Je fais mention de vous toujours et continuellement dans mes prières » (Ro 1. 9,10)
« Persévérez dans la prière ; veillez-y avec actions de grâce » (Col 4.2)
« Priez sans cesse ; en toutes circonstances, rendez grâces » (1 Th 5.17-18).
Oui, comme Néhémie et Paul, sans parler de Jésus, sachons mettre du temps de côté pour prier pour ce monde qui a tellement besoin de ce Dieu qu’il ignore !
2 : Elle était accompagnée par le jeûne (v5)
Il nous est arrivé parfois d’avoir fait une journée de jeûne et prière dans l’Église, et il y a quelques années dans notre Fédération baptiste nous avons fait plusieurs jours de jeûne et de et prière pour prier pour l’évangélisation de notre pays. Certains ont fait un jeûne partiel pendant le temps de carême, et nos jeunes adultes jeûnent une fois par mois pour donner l’argent qu’ils auraient dépensé pour des projets de service et d’évangélisation. Rappelons aussi qu’ils nous invitent à jeûner en même temps qu’eux, et ce serait sans doute un fort encouragement si d’autres le faisaient ; Mais il faut le dire, le jeûne n’est pas très présent dans nos habitudes évangéliques. c’est sans doute une réaction aux excès du passé, comme le jeûne était souvent vécu comme une obligation ou comme une fin en soi : je jeûne, donc je suis plus saint !
Dans la Bible, le jeûne est un signe d’humilité et de disponibilité devant Dieu : nous lui disons que ses affaires sont plus importantes que notre vie quotidienne, et le jeûne nous libère du temps dans la journée que nous passons à faire la cuisine, à manger et à ranger, pour pouvoir donner plus de temps à la méditation de la Parole et à la prière. Je peux témoigner d’un vrai sens de libération, les rares occasions où j’ai jeûné. C’est sans doute une pratique que nous devrions redécouvrir, seuls et en communion avec nos frères et sœurs, pas comme une fin en soi, mais pour nous rendre plus disponibles à Dieu. Nous n’insistons pas sur ce point aujourd’hui mais nous y reviendrons sans doute une autre fois.
3 : Elle était centrée sur Dieu et sur sa Parole
Le résumé que Néhémie a fait de cette prière qui a duré des journées entières commence au v 5 et se termine au v 11. Une chose qui saute aux yeux en lisant cette prière, c’est qu’il ne commence pas par un catalogue de demandes. En fait, presque la moitié de cette prière est une méditation sur la grandeur et sur le caractère de Dieu révélés dans l’écriture.
Néhémie commence par des titres qui disent beaucoup sur la nature de Dieu : ” Éternel, Dieu des cieux” (יְהוָה֙ אֱלֹהֵ֣י הַשָּׁמַ֔יִם), qui était un titre typique de l’usage des Juifs de l’Exil, et il continue : “Dieu grand et redoutable, toi qui gardes l’alliance et la bienveillance envers ceux qui t’aiment … » Il se souvient que Dieu est grand, éternel et puissant, mais qu’il est aussi fidèle à ses promesses, et c’est précisément cette vision de Dieu qu’il a sans doute pris le temps de méditer longuement qui lui donne le courage de continuer. Ces titres ne sont pas seulement des formules qu’il répète sans réfléchir, mais il prend le temps de visualiser ce Dieu grand et redoutable, pour que cette idée l’habite et forme sa pensée.
Aux vs 8-9 il se base sur les promesses de Dieu de bénir un peuple qui se repent, et même s’il n’avait pas la possibilité que nous avons de se référer à une Bible écrite, il savait citer les passages qu’il avait appris par cœur.
Si nos prières semblent avoir si peu d’efficacité, c’est peut-être parce que nous ne prenons pas le temps de méditer d’abord le caractère de Dieu et de le louer pour ce qu’Il est et pour sa fidélité dans tous les âges. Notre prière est souvent plus centrée sur nous-mêmes et nos besoins que sur la parole de Dieu qui nourrissait la prière de Néhémie. Oui, même quand nos besoins semblent pressants, sachons prendre le temps dans la prière pour être envahis par un sens de la grandeur de Dieu. le Ps 46 le dit bien :
« Contemplez les œuvres de l’Éternel …
Arrêtez, et reconnaissez que je suis Dieu,
je domine sur les nations, je domine sur la terre. » (Ps 46. 9,11)
Le modèle de prière que Jésus a laissé à ses disciples, le Notre Père, est un autre exemple d’une prière qui commence et qui finit par Dieu. Nos requêtes ont bien leur place, mais dans ce cadre d’une prière centrée sur Dieu et Sa volonté.
Si, comme moi, vous avez du mal à pratiquer une telle prière, si vos pensées s’égarent facilement, si vous avez l’impression de répéter les mêmes phrases qui se vident de leur sens par la répétition, pourquoi ne pas prendre des psaumes de louange comme la base de votre prière, peut-être un psaume différent chaque jour, par exemple les Ps 46 à 50, 90 à 107, 120 à 139, ou 144 à 150, et ces psaumes nous aideront à mieux exprimer nos propres louanges.
4 : Elle contient une confession du péché (vs 6b-7).
Quand ils voient la souffrance du monde, certains de nos contemporains sont enclins à blâmer Dieu – si toutefois il existe ! Et on peut aussi être enclin à penser que les gens ont ce qu’ils méritent – ce qui nous donne bonne conscience. Néhémie sait que l’état déplorable de Jérusalem est dû au péché du peuple des siècles avant sa naissance – mais loin de blâmer les autres, il s’associe au péché du peuple : « (Je confesse) nos péchés contre toi, moi et ma famille, nous avons péché, nous avons vraiment mal agi envers toi » Oui, il est solidaire avec son peuple, peuple qu’il connaissait à peine, et il accepte que son inactivité a contribué à cette situation désastreuse.
Et quand nous sommes choqués par l’état moral de notre pays, ou par la cruauté de la vie pour des populations touchées par la guerre, l’injustice ou la famine, n’oublions pas non plus de demander pardon à Dieu pour tout ce qui a contribué à cette situation – parfois notre propre immobilisme, que ce soit sur le plan pratique, dans le sens qu’on ne pose pas trop de questions sur ce que nous achetons au supermarché, ou bien sur le plan de la prière.
Quand nous trouvons que tout ne marche pas comme nous le voudrions dans l’Église, que la communion fraternelle n’est pas ce qu’elle devrait être, que l’accueil n’est pas assez chaleureux, qu’on ne fasse pas telle ou telle activité qui nous semble importante, sachons aussi chercher et confesser notre part de responsabilité dans l’affaire.
5 : Elle a des conséquences imprévues (v 11).
Au début de la prière de Néhémie, nous avons l’impression qu’il allait demander une intervention divine pour rétablir les murs de Jérusalem, et c’est ce qu’il fait ; il demande que Dieu intervienne. Mais au fur et à mesure qu’il prie, il devient conscient que Dieu est en train de lui demander de faire partie de l’exaucement de sa propre prière : et il termine sa prière : « Donne aujourd’hui du succès à ton serviteur et fais-lui obtenir la faveur de cet homme » ! Curieusement, c’est la première mention de « cet homme » ! Mais il sait qu’il doit intervenir auprès du roi Artaxerxès, et cela voudra dire aussi qu’il allait quitter le confort du palais impérial de Suse pour passer 12 ans comme gouverneur de Jérusalem dans des circonstances difficiles et même dangereuses, face à des ennemis, mais c’est ainsi qu’il verra l’exaucement de sa prière.
La réponse à nos prières n’est pas toujours aussi radicale qu’elle ne l’était pour Néhémie, mais une chose est sûre, comme un grand poète anglais, Tennyson, a dit, « La prière accomplit beaucoup plus de choses sur cette terre que l’homme n’imagine ».
Que le Seigneur nous aide donc à redécouvrir la puissance de la prière percutante, et qu’il nous fasse la grâce de vivre, nous aussi, la transformation intérieure et extérieure grâce à la prière, qui peut nous conduire beaucoup plus loin que nous le pensions.
[1] Daniel 8.2
[2] Une distance de quelque 1 500 km, donc Paris-Budapest, ou bien Paris-Madrid à pied, mais à travers un désert !
[3] En 515
[4] Par exemple, 2.4, 3. 36-37, 4.3, 5.19, 6. 9, 14, 13.22b,31b