Prédication donnée par David Boydell à Massy le 1er mars 2015
Première lecture : Matthieu 16:13-23
Jésus arriva dans le territoire de Césarée de Philippe. Il demanda à ses disciples: «Qui suis-je, d’après les hommes, moi le Fils de l’homme?» Ils répondirent: «Les uns disent que tu es Jean-Baptiste; les autres, Élie; les autres, Jérémie ou l’un des prophètes.» «Et d’après vous, qui suis-je?» leur dit-il. Simon Pierre répondit: «Tu es le Messie, le Fils du Dieu vivant.»
Jésus reprit la parole et lui dit: «Tu es heureux, Simon, fils de Jonas, car ce n’est pas une pensée humaine qui t’a révélé cela, mais c’est mon Père céleste.Et moi, je te dis que tu es Pierre et que sur ce rocher je construirai mon Église, et les portes du séjour des morts ne l’emporteront pas sur elle. Je te donnerai les clés du royaume des cieux: ce que tu lieras sur la terre aura été lié au ciel et ce que tu délieras sur la terre aura été délié au ciel.» Alors il ordonna aux disciples de ne dire à personne qu’il était le Messie.
Dès ce moment, Jésus commença à montrer à ses disciples qu’il devait aller à Jérusalem, beaucoup souffrir de la part des anciens, des chefs des prêtres et des spécialistes de la loi, être mis à mort et ressusciter le troisième jour. Alors Pierre le prit à part et se mit à le reprendre en disant: «Que Dieu t’en garde, Seigneur! Cela ne t’arrivera pas.» Mais Jésus se retourna et dit à Pierre: « Arrière, Satan, tu es un piège pour moi, car tes pensées ne sont pas les pensées de Dieu, mais celles des hommes.»
Je ne sais pas si vous avez jamais lu un des quatre évangiles du début à la fin, un peu comme on lit un roman, mais c’est un exercice qui ne prend pas beaucoup de temps, et en lisant un évangile de cette façon vous avez une vue d’ensemble de l’action, et même une petite idée de son genre littéraire et de l’intrigue qui traverse les évangiles du début à la fin. C’est peut-être un exercice à faire pendant ce temps de Carême?
C’est vrai que les évangiles racontent une histoire familière – un peu trop familière dans un sens, car on sait dès le début ce qui va arriver à la fin, mais si on arrive à entrer dans l’intrigue des évangiles, on voit que ce sont des œuvres qui entretiennent un certain suspense quasiment à partir du début. De grandes foules suivaient Jésus, autant dans l’espoir de voir un miracle que pour écouter son enseignement frappant. Mais son autorité et son message de repentance dérangeaient d’autres personnes, et surtout les autorités civiles et religieuses, car il enseignait avec autorité, et non pas comme leurs spécialistes de la loi (Marc 1:22, cf. Luc 4:32).
Et l’évangile de Matthieu nous parle de onze attaques directes ou indirectes contre Jésus.
Les pharisiens étaient scandalisés, par exemple, par sa familiarité avec les gens du peuple (Matthieu 9:11) et par son attitude au sabbat entre autres choses (Matthieu 12:2). C’est pourquoi, déjà au chapitre 12 de l’évangile selon Matthieu (v.14), nous voyons que les Pharisiens voulaient le faire mourir, et au début de notre chapitre (16:1) il sont rejoints par les Sadducéens, leurs opposants sur le plan théologique. Pendant la dernière semaine avant la crucifixion, ils se sont même ligués contre Jésus avec les Hérodiens, leurs plus grands ennemis, pour essayer de se débarrasser de Jésus (Matthieu 22:16).
Je me suis volontairement limité à quelques passages de l’évangile selon Matthieu pour brosser ce tableau de l’opposition à Jésus, mais cette montée de résistance à son message se trouve dans les trois autres évangiles, commençant déjà au deuxième chapitre de Marc (2:6,16,24), par sa prédication à Nazareth en Luc (4:28) et elle est déjà annoncée dans le prologue de Jean 1:10,11 : Le monde a été fait par elle (la Parole, Jésus), et pourtant le monde ne l’a pas reconnue. Elle est venue chez les siens, et les siens ne l’ont pas accueillie.
Une autre chose qui nous frappe dans les évangiles, c’est que malgré le fait que les quatre évangiles décrivent cette opposition grandissante au ministère de Jésus quasiment dès le début de son ministère public, nous avons l’impression que les douze disciples étaient plutôt inconscients de ce qu’il se préparait.
Mais dans les trois évangiles synoptiques (Matthieu, Marc et Luc), il y a une “ligne de partage des eaux”, un point à partir duquel les choses deviennent encore plus clairs, et l’action se déroule inexorablement vers le dénouement, à Jérusalem. C’est à partir de cette déclaration de Pierre à Césarée de Philippe au chapitre 16 de Matthieu que Jésus a commencé à avertir les disciples ouvertement de ce qui l’attendait à Jérusalem, nous le voyons au verset 21 du passage que nous avons lu. Et cette première fois que Jésus en parle clairement, Simon Pierre a dû penser que son maître passait par un temps de découragement. Nous avons entendu sa réaction : “Que Dieu t’en garde, Seigneur ! Cela ne t’arrivera pas !” Le grec est très fort : Aucune chance que ça t’arrive, Seigneur ! Mais la réponse cinglante de Jésus – “Arrière de moi, Satan !” – montre à quel point ces paroles bien intentionnées de la part de son disciple lui rappelaient les termes de la tentation au désert au début de son ministère. Simon Pierre, qui venait de parler sous l’impulsion du Père en déclarant que Jésus est le Messie, le Fils du Dieu vivant (v.17), devient quelques instants plus tard le porte-parole du diable ! Ou en d’autres termes, la pierre sur laquelle Jésus voulait fonder son Église est devenu une pierre d’achoppement !
Mais Jésus résiste à ces paroles bien intentionnées. Certes, il est venu pour enseigner, pour guérir, mais son but principal en devenant homme est pour servir et donner sa vie en rançon pour beaucoup comme il le dira aux douze au moment où il passera par Jéricho en route pour sa dernière entrée à Jérusalem (Matthieu 20:28, Marc 10:45). Et il répète que tout cela se passera selon tout ce qui a été écrit par les prophètes au sujet du Fils de l’Homme (Luc 18:31). Oui, bien que les Juifs et les non-Juifs se soient ligués contre lui, et qu’ils soient même arrivés à soudoyer un des douze, il dira très clairement que tout cela rentre dans le plan de Dieu pour notre salut, comme nous le déclarons autour de la table du Seigneur.
Mais jusqu’au bout, les disciples n’ont pas voulu accepter l’évidence. Les évangélistes nous disent même qu’ils n’ont pas compris et que les paroles de Jésus leur faisaient peur (cf. Marc 9:30 : “Cependant, les disciples ne comprenaient pas cette parole et ils avaient peur de l’interroger.” Cf. Luc 18:34 ) Jésus leur a quand même annoncé sa mort de cette façon au moins 5 fois selon Matthieu dans les 6 mois qui le séparaient de la croix. Mais ils ne voulaient pas comprendre. C’est pourquoi ils ont abandonné leur maître lors de son arrestation, et qu’au moment où le Jésus ressuscité leur est apparu la première fois, “les portes de la maison où les disciples se trouvaient étaient fermées car ils avaient peur des chefs juifs” (Jean 20:19). Ce n’est qu’après les 40 jours où Jésus leur est apparu après la résurrection, et surtout après le jour de la Pentecôte, qu’ils ont commencé à tout comprendre et à témoigner sans avoir peur.
Mais nous allons un peu plus loin dans notre lecture :
Deuxième lecture : Matthieu 16:24-26 :
Alors Jésus dit à ses disciples: « Si quelqu’un veut être mon disciple, qu’il renonce à lui-même, qu’il se charge de sa croix et qu’il me suive! En effet, celui qui voudra sauver sa vie la perdra, mais celui qui la perdra à cause de moi la retrouvera. Que servira-t-il à un homme de gagner le monde entier, s’il perd son âme? Ou que pourra donner un homme en échange de son âme?… »
Jésus est donc mort volontairement pour nous racheter, mais le passage choisi pour aujourd’hui va plus loin. Après avoir parlé de ses propres souffrances, Jésus parle aussi des souffrances que connaîtront ses disciples : “Si quelqu’un veut être mon disciple, qu’il renonce à lui-même, qu’il se charge de sa croix et qu’il me suive” (v.24). C’est quelque chose qu’il avait déjà dit (Matthieu 10:24-25) et il le dira de nouveau aux onze disciples, après le départ de Judas, avant de faire face à la croix, “Le serviteur n’est pas plus grand que son maître. S’ils m’ont persécuté, ils vous persécuteront aussi ; s’ils ont gardé ma parole, ils garderont aussi la vôtre.” (Jean 15:20).
Les douze avaient déjà commencé à renoncer à eux-mêmes. Ils avaient accepté de sacrifier leur vie plutôt tranquille de pêcheurs ou, dans un cas, de collecteur d’impôts, pour suivre Jésus sur les chemins de Galilée et de Judée. Comme lui, ils pouvaient dire qu’ils n’avaient pas de demeure fixe ni de revenu assuré (Matthieu 8:20, Luc 9:58), même si certains, comme Jacques et Jean, avaient peut-être des économies. Pierre a même dit à Jésus une autre fois : “Seigneur, nous avons tout quitté pour te suivre” (Matthieu 19:27). Cela faisait partie de cette vie de renoncement à soi-même, à ses propres ambitions, à laquelle chaque chrétien est appelé par le Christ. Et le Seigneur demande à certains aujourd’hui aussi de tout quitter pour lui, et à tous d’être prêts à le faire : à être prêts à quitter leur famille, leur maison, même leur travail s’il le demande, à “sortir de leur zone de confort”. Et en réponse à la remarque de Pierre, Jésus avait dit : “Toute personne qui aura quitté à cause de moi ses maisons ou ses frères, ses sœurs, son père, sa mère, sa femme, ses enfants ou ses terres, recevra le centuple et héritera la vie éternelle.” (Matthieu 19:28) Ce n’est pas, bien sûr, une invitation à négliger nos obligations les plus importantes dans la vie – Jésus critiquait sévèrement ceux qui négligeaient leurs parents, par exemple – mais un appel à donner à Dieu la première place dans notre vie.
Pour d’autres, comme pour la plupart des premiers disciples un peu plus tard, le fait de “porter sa croix” irait plus loin encore. Ce serait le fait d’accepter l’indifférence des uns et l’hostilité des autres, et pour certains cela finirait par l’emprisonnement, les privations, la souffrance physique, et même la mort : Étienne serait le premier martyr chrétien, suivi par d’autres membres de l’Église de Jérusalem dont Jacques frère de Jean, et nous rappelons aussi que le mot “martyr” en grec veut dire tout simplement “témoin”.
Il est clair que personne n’est appelé à chercher à être martyr, même si l’apôtre Paul savait ce qui l’attendait et un peu plus tard dans l’histoire de l’Église, à commencer par les épîtres d’Ignace d’Antioche (Épître d’Ignace aux Romains 1,2,4), il s’est développé un certain culte du martyre et un désir de mourir martyr. Mais rien dans les écrits du Nouveau Testament ne nous pousse à chercher les difficultés au nom du Christ. Si Paul a bien accepté de souffrir en tant qu’apôtre et s’il appelle Timothée à en faire de même (2 Timothée 2:3), il a bien compris, à Damas comme à Thessalonique par exemple, qu’il valait mieux éviter ceux qui en voulaient à sa vie s’il avait le choix !
Le XXIe siècle a déjà son lot de martyrs, parmi beaucoup d’autres d’innombrables chrétiens du moyen orient, en Corée du Nord, et en d’autres pays de nos jours. Dans les pays du Moyen-Orient aujourd’hui, comme ailleurs, le harcèlement et même la mort à cause de leur témoignage est devenu une situation familière pour beaucoup de chrétiens, et des organisations telles que Portes Ouvertes nous donnent la possibilité non seulement de prier pour ces frères et sœurs persécutés mais aussi de les aider et de les encourager d’une manière pratique, par une aide matérielle ou par l’envoi d’une carte de vœux. En faisant cela, nous agissons en tant que membres du corps du Christ, où si un membre souffre, tous les membres souffrent avec lui (1 Corinthiens 12:26), et nous obéissons au commandement du Christ en Matthieu 25:35-36 : J’ai eu faim et vous m’avez donné à manger … j’étais étranger et vous m’avez accueilli … j’étais en prison et vous êtes venus vers moi.
Tout cela peut sembler très éloigné de notre propre expérience. Mais pour chaque chrétien il y aura une croix à porter, l’enseignement de Jésus est clair. L’apôtre Paul l’exprime d’une autre façon au chapitre 12 de son épître aux Romains :
Je vous exhorte, mes frères, par la tendresse de Dieu, à lui offrir votre personne et votre vie en sacrifice saint, capable de plaire à Dieu : c’est là pour vous l’adoration véritable. Ne prenez pas pour modèle le monde présent, mais soyez transformés en renouvelant votre façon de penser pour savoir reconnaître quelle est la volonté de Dieu : ce qui est bon, ce qui est capable de lui plaire, ce qui est parfait.
Oui, le “sacrifice saint”, le “sacrifice vivant” dans d’autres traductions, c’est le don de notre vie et de notre être chaque jour comme réponse à l’amour de Dieu pour nous, cet amour qu’il a manifesté en Christ. Nous avons besoin d’être transformés quotidiennement par l’action de l’Esprit et de la Parole pour pouvoir résister à toutes les pressions de la société actuelle – comme c’était le cas du Christ qui a résisté aux paroles de Pierre – et pour vivre selon sa volonté parfaite. C’est une lutte constante à l’intérieur de notre propre personne, et cela peut aussi entraîner l’incompréhension et même de l’opposition de la part des autres, même des chrétiens bien intentionnés comme Pierre ici. Mais c’est ce à quoi nous sommes appelés.
Je viens de lire le livre “J’ai dit non à la vengeance”, écrit par Susanne Geske, veuve d’un pasteur allemand qui a été tué en avril 2007 par des fanatiques en Turquie avec deux chrétiens turcs, des martyrs du XXIe siècle. Elle a décidé de continuer à vivre en Turquie, et elle dit ceci dans sa conclusion :
Depuis que je me suis convertie, que ce soit en Turquie ou en Allemagne, j’ai rencontré trop de “chrétiens sous-marins”, trop de chrétiens qui sortent leur tête de l’eau le dimanche, font une apparition à l’église, et qui, du lundi au samedi, passent leur temps “en plongée”. … Ils n’osent plus être différents. … que (ces chrétiens) se lèvent, qu’ils soient forts, et qu’ils proclament le nom puissant de Jésus à travers le monde. [1]
Pour ce faire, nous avons besoin de l’aide de Dieu, comme Paul le dit aux Éphésiens en parlant de “l’armure de Dieu” (Éphésiens 6:10 et ss), car les découragements sont légion. Souvent nous pouvons vivre les mêmes contradictions et crises qu’a connues le prophète Jérémie. Mais dans son enseignement en Matthieu 16, Jésus nous rassure, car cela en vaut la peine: Car (dit-il au v.25) celui qui veut sauver sa vie la perdra, mais celui qui la perdra à cause de moi la retrouvera. Que servirait-il à un homme de gagner le monde entier, s’il perd son âme ? Et quelle somme pourra-t-il verser en échange de sa vie ?
Un martyr du XXe siècle, l’Américain Jim Elliot, l’a exprimé ainsi : “On n’est pas bête de donner ce qu’on ne peut pas garder pour gagner une chose qu’on ne peut pas perdre. [2]
Jésus a souffert pour nous – et il nous demande de vivre une vie en soumission à lui. Si nous avons bien compris son amour pour nous, nous serons prêts à le faire. Qu’il nous vienne en aide chaque jour !
[1] Jonathan CARSWELL et Joanna WRIGHT, J’ai dit non à la vengeance, Romanel-sur-Lausanne, Ourania, 2009, p. 170.
[2] “He is no fool who gives what he cannot keep to gain that which he cannot lose.”