Texte de la prédication de Colette Jeuch du 12 septembre 2010.
Jean 8 : 1 – 11
Comment concilier la Loi et la Grâce ? Comment haïr le péché et aimer le pécheur ?
Comment juger d’une situation particulière et juger en Vérité c’est à dire d’une manière juste, droite, bonne.
Comment exercer une discipline dans l’Église et dans nos familles qui soit constructive, positive ?
Comme support à cette réflexion, je vous propose de revivre un épisode de la vie de Jésus rapporté dans l’Evangile selon Jean chap 8 : 1 à 11 et connu sous le titre de « la femme adultère ».
Des crochets encadrent ce passage parce qu’il ne figure pas dans tous les manuscrits anciens et il n’est même pas sûre qu’il soit de la plume de Jean.
Cependant, l’authenticité de ce texte ne fait aucun doute ; il relate bien un événement véridique de la vie de Jésus que l’on situe volontiers dans la dernière semaine de sa vie et qui serait donc mieux placé au du chapitre 12 de ce même Evangile.
Mais, on ne peut que louer la sagesse et le discernement de ceux qui ont choisi de faire fi de la chronologie et de placer cet épisode à cet endroit de l’évangile
- en l’encadrant par 2 paroles fortes de Jésus qui nous mettent en garde contre des jugements ou des condamnations trop rapides
– ) 7 : 21 : ne jugez pas selon l’apparence mais jugez selon la justice
– ) 8 : 15, 16 : Vous jugez selon des critères purement humains, moi, je ne juge personne. Et si je juge, mon jugement est VRAI (= selon la Vérité), car je ne suis pas seul pour juger mais avec moi il y a aussi le Père qui m’a envoyé.
- Et, en plus, on ne peut que se réjouir que ce passage soit immédiatement suivi par cette déclaration du Christ au v12 : « je suis la lumière du monde ; celui qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres mais il aura la lumière de la vie », allusion à l’œuvre de salut du Christ mais aussi un appel à réaliser combien nous avons besoin nous-mêmes de lumière pour discerner, pour porter un jugement vrai et être porteurs de vie et non de mort !
Ce texte est donc excellemment placé là et c’est à l’éclairage de ces textes qui l’encadrent que nous allons l’aborder
8 :1- 6a
Cet événement se déroule dans la période où les religieux sont déterminés à tuer le Seigneur ; ils ne cachent plus leur intention, tout le monde le sait. Les 6 derniers mois du ministère de Jésus sont marqués par différentes tentatives de mise à mort.
Les religieux sont à l’affût de toute parole ou acte de Jésus qu’ils pourraient utiliser contre lui et, sur la fin, ils vont même jusqu’à provoquer des situations de piège.
Vous vous souvenez des questions pièges posées à Jésus sur l’origine de son autorité, sur l’impôt à l’empereur, sur la résurrection. Le débat était alors de l’ordre de la réflexion théologique. Ici, c’est différent. L’objet du piège c’est une personne, une femme. C’est une vie humaine que les religieux mettent en jeu. Ils sont loin d’imaginer qu’ils sont en train de déclencher un processus qui va les mettre en question au plus profond d’eux-mêmes.
Voyons les différents acteurs de cette scène :
D’abord la femme : c’est l’accusée, prise en flagrant délit. Imaginez la scène. Les religieux l’ont traînée jusqu’au temple, et la voilà seule au milieu du peuple, tous les regards braqués sur elle, encerclée par tous ces religieux bien-pensants qui ont Dieu et la Loi de leur côté. Elle entend ses accusateurs, elle entend le mot « lapidation » et même si elle sait que les Romains ont interdit cette pratique, elle sait aussi qu’une foule se manipule et qu’une fois chauffée à blanc, elle est incontrôlable… (dans le livre des Actes, on voit bien que les Romains n’ont pas pu empêcher qu’Etienne soit lapidé dans Jérusalem) ; oui, le risque est réel et elle a peur, probablement très peur.
Les scribes et les pharisiens : nous savons par l’ensemble des évangiles qu’ils se sentent terriblement menacés par Jésus. Sa réputation leur fait de l’ombre. Il est dit, au v.2 que « tout le peuple se pressait autour de lui » = que plus personne n’allait vers les scribes et les pharisiens ; c’est leur existence même qui est en jeu.
Pour affronter Jésus ils vont mettre tous les atouts de leur côté en utilisant une pauvre femme, le Décalogue et Moïse lui-même. Forts de tout cela ils pensent pouvoir piéger Jésus « toi donc, que dis-tu ? ». Ils le tiennent, lui l’ami des pécheurs, l’ami des gens de mauvaise vie, des prostituées, car s’il défend cette femme, il viole la Loi, et aussi il heurte la conscience populaire (l’adultère n’a pas bonne presse). Alors les religieux pourront ainsi le condamner avec l’appui du peuple, sans risque d’émeute – ce qu’ils ne peuvent pas faire en invoquant les guérisons accomplies les jours de sabbat. C’est un piège bien monté qui est le fruit de leur propre peur, peur de perdre le pouvoir, peur de perdre l’autorité sur le peuple ; peur qui se déguise en excitation fanatique porteuse de mort.
C’est intéressant de savoir que la peur peut se transformer en condamnation de la personne qui inspire cette peur. Dans les conflits, c’est un facteur à ne pas négliger.
Jésus : comme tous ceux qui sont tranquillement assis autour de lui, il reçoit en pleine figure cette haine, cette violence, cette agitation. Il sent la peur qui est en la femme, il sent la peur et la haine qui manipulent ces hommes et les excitent contre lui. Jésus comprend vite que c’est lui l’homme à abattre. Bien sûr, Jésus sait que son heure n’est pas encore venue, mais il sait qu’elle est proche. Il sait que c’est lui la cible de ce groupe de religieux bien-pensants ; la femme n’est qu’un prétexte. Ces hommes sont là pour l’accuser, pour pouvoir l’arrêter et le tuer, lui. (rem pour ceux qui ont suivi les actualités : l’utilisation de la lapidation a des fins politiques n’est pas une exclusivité des mollahs d’Iran !)
Ce climat de peur contamine tout le monde et paralyse la raison et la maîtrise de soi. Jésus, en tant qu’homme, sent aussi sur lui la pression de cette peur qui pourrait l’amener à ne pas tenir ferme contre la tentation et passer à côté de la volonté divine.
Car ici la tentation est grande pour Jésus de juguler cette peur par l’ironie ou par la violence verbale, en répondant aux pharisiens, en démontant leur système foireux d’accusation montée contre cette femme, “flagrant délit ? où est l’homme ? qui est l’homme ? un puissant, un chef, un des vôtres ?… “. Il pourrait dénoncer leur mauvaise foi ; il pourrait dénoncer une justice à deux vitesses.
La suite de l’histoire est tout autre : c’est le combat de Jésus contre la tentation de condamner à son tour ceux qui le menacent et passer ainsi à côté de sa mission Comme le dit Jn 3 :17 « En effet Dieu n’a pas envoyé son fils dans le monde pour qu’il juge/condamne le monde mais pour que le monde soit sauvé par lui », scribes et pharisiens compris !
8 : 6b – 11 Jésus, au lieu de répondre aux religieux, se baisse et écrit par terre. Les pharisiens interprètent cela comme le signe d’une dérobade, c’est pour cela qu’ils le harcèlent, le pressent de répondre, ils s’acharnent sur lui « ils continuaient à l’interroger »
C’est dans cette position que Jésus mène son combat : il a détourné son regard de ceux qui veulent l’accuser ; En écrivant par terre il centre son attention ailleurs que sur les cris des accusateurs et il se rappelle peut-être que les hommes ne sont que poussière et bien fragiles ; c’est le temps d’éliminer ses réactions humaines et de se positionner en tant que Fils de Dieu, « celui qui ne fait rien sans le Père et qui ne fait que ce qu’il voit faire au Père » Jn 5 :19
La vie sur terre pour le Christ n’a pas été facile. Son ministère débute par la tentation dans le désert ; mais ce n’est pas un problème qui a été réglé une fois pour toute ; la tentation a été présente tout au long de son ministère. Combien de fois est-il dit qu’il se tenait à l’écart pour prier ? Combien de nuits passées à prier ? Nous pensons que les choses étaient faciles pour Jésus parce qu’il était Dieu ! nous oublions cette tension permanente liée à sa nature, vraiment homme, vraiment Dieu ; Parfait en divinité, parfait en humanité.
En tant que Dieu, Jésus est tout puissant. Il a le pouvoir de satisfaire à tout moment ses propres besoins comme transformer des pierres en pains, ou écraser ceux qui s’opposent à lui ; Mais ce n’est pas pour cela qu’il est venu sur terre. Il a le pouvoir de descendre de la croix, il a même le pouvoir de refuser d’y aller. C’est tout le combat de cette nuit de prière dans le jardin de Gethsémanée : la tentation est grande de dire non à la mort sur la croix ; ce n’est pas pour rien qu’il dit à ses disciples « priez afin de ne pas tomber dans la tentation » ; il s’exhorte lui-même par ces mots car son corps et son âme refusent la Croix. Tout au long de son ministère «le Christ a appris, bien qu’il soit Fils, l’obéissance par les choses qu’il a souffertes » (He 5 :8) et l’épître aux Hébreux nous dit que la Croix est le summum de cette obéissance. Mais toute sa vie a été un combat pour rester dans l’obéissance au Père, afin de ne pas succomber à la tentation et faillir à sa mission.
Ici, à côté de cette femme et entouré par les religieux qui le harcèlent, c’est un des nombreux combats que Jésus mène pour rester fidèle à sa mission sur terre ; c’est, pour nous un exemple de discipline spirituelle.
Sa réponse « que celui qui est sans péché jette le premier la pierre contre cette femme » va mettre chacun en mouvement. C’est donc bien un ‘’jugement vrai’’, un jugement selon la Vérité qui est énoncé là car il est le fruit de la relation du Fils avec le Père et il va être porteur de vie pour tous ceux qui l’entendent.
Il nous arrive d’être appelés à donner un avis, à prendre position, à prononcer un jugement sur telle ou telle situation. Nous pouvons être agressés verbalement parce que nous défendons telle ou telle position. Dans tous ces cas, prenons-nous alors le temps de nous positionner devant Dieu, pour que nos paroles soient assaisonnées de la pensée de Dieu et ainsi produire la vie ? Ou laissons-nous la peur nous contrôler et brandissons-nous notre Bible comme une épée de justicier ou de gardien de la morale chrétienne pour pourfendre les horribles pécheurs qui ne pensent pas comme nous ?
Par sa réponse, Jésus honore la Loi de Dieu, il affirme que l’adultère est un péché, il respecte la sentence posée pour un tel acte : la lapidation. Les religieux pensaient que Jésus allait protéger cette femme et voilà qu’il annonce qu’elle doit mourir ! Le piège ne fonctionne plus. De plus Jésus prend le contrôle de la situation : il désigne celui qui doit exécuter la sentence : « que celui qui est sans péché… ».
Ainsi, par l’ensemble de sa réponse, il renvoie les religieux et la femme à leur péché respectif : les uns à leur prétention d’être justes et sans péché et l’autre à son adultère.
Ainsi Jésus est bien dans sa fonction de ‘’Lumière du monde’’ ; il offre à ses auditeurs le moyen de voir clair en eux-mêmes, par eux-mêmes. Et c’est pour cela qu’il se baisse à nouveau et écrit par terre, pour les entraîner dans ce même mouvement : rentrer en eux-mêmes, se regarder eux-mêmes, s’ouvrir en toute liberté à la Lumière de cette parole qui vient d’être dite, sans pression de sa part : il ne les regarde pas, il écrit par terre et ainsi ils peuvent voir la poutre qui est dans leur œil au lieu de voir la paille qui est dans l’œil de l’autre.
Jésus, en restant à sa place de Fils obéissant, laisse le champ libre à l’Esprit Saint qui, lui, a comme mission de « convaincre le monde de péché, de justice et de jugement »
Ne prenons pas la place du St-E. Jésus nous appelle à être à sa suite, Lumière du monde, Sa Lumière. Il ne nous a pas appelés pour juger ou condamner mais pour éclairer les hommes. Notre mission est d’éclairer ce monde pour que le péché se manifeste comme péché et que ceux qui le pratiquent le reconnaissent eux-mêmes comme péché.
Les pharisiens, touchés dans leur conscience par cette parole prononcée par ce ‘’moi et le père qui m’a envoyé’’ et travaillés par le St E sont dé-routés, au sens littéral. Cette parole les dé-tourne du chemin tout tracé par la peur, la haine et l’esprit de jugement. Ils se retirent un à un à commencer par les plus âgés.
Jésus peut maintenant s’occuper de la femme.
Pour les Pharisiens qui s’étaient érigés en juges, la prise de conscience de leur état devant Dieu a dû être douloureuse. Pour la femme c’est plus simple : elle sait qu’elle est coupable, elle n’est pas dans l’illusion sur elle-même ; elle a très bien entendu les paroles de Jésus : il n’excuse pas son acte ; elle a compris qu’il ne défendra pas sa cause.
Pourtant Jésus ne condamne pas cette femme, comme il n’a pas condamné les pharisiens ; exactement pour la même raison : ‘’il n’est pas venu pour condamner mais pour sauver’’. Mais cela ne signifie pas pour autant que pour lui l’adultère est une peccadille ou simplement “une aventure”; c’est un acte grave, destructeur. Pour Jésus, l’adultère est un péché. D’ailleurs, Jésus renvoie la femme avec cet ordre express « ne pèche plus ».
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En ne condamnant pas ce qui est condamnable, chez les Religieux, chez cette femme, mais aussi chez moi, en toi, en nous, Jésus ne passe pas simplement l’éponge sur nos fautes ! Il ne nous tapote pas l’épaule disant «ce n’est rien, oublions cela». Jamais dans les Ecritures vous trouverez cette description-là de Dieu. Toute la Bible réprouve et déplore le péché. Pour Dieu, le Mal est Mal, le péché est péché. Il est nocif, inexcusable, inacceptable.
Dieu est Saint, il ne supporte pas le Mal ; Dieu a le péché en horreur. Réalisons bien que sa tolérance au péché est égale à zéro.
Mais Dieu, qui est aussi Amour, aime les personnes mauvaises, pécheresses que nous sommes, toutes sans exception, du religieux bien-pensant au plus grand des pervers.
Et Dieu est aussi un Dieu juste, et une sentence juste doit être appliquée.
Comment Dieu peut-il concilier Sainteté, Justice et Amour ? Comment concilier la Loi et la Grâce? Comment Dieu peut-il être à la fois Juste et Bon ? Notre logique et notre intelligence ne peuvent le concevoir. C’est par la Croix que Sainteté, Justice et Amour de Dieu sont réconciliés. Ce qui s’est joué à la croix est d’une profondeur qui nous dépasse.
Le jugement qui tombe sur Jésus au lieu de tomber sur nous, sa mort expiatoire sur la Croix montrent à quel point Dieu prend le mal au sérieux. La Croix nous rappelle l’horreur du péché et le prix du pardon. Comprenons bien que notre pardon a coûté très cher à Dieu ; ne méprisons pas le prix de la grâce.
Dans qqs instant nous allons prendre la Cène. C’est un temps privilégié
- pour rentrer en nous-mêmes, accueillir la Lumière de Dieu, nous regarder nous-mêmes tels que nous sommes = des pécheurs
- et recevoir cette parole du Seigneur « je ne te condamne pas, va et ne pèche plus : apprends à ton tour, à poser sur les autres des jugements vrais qui soient porteurs de vie pour ceux qui les entendent. »
Ouvrages de référence :
« Moi, je ne juge personne », Lytta Basset, Albin Michel/Labor et Fides
« Le Mal et la Croix », Henri Blocher, Collection Alliance